La politique de rémunération, premier levier d’attractivité?

Quelles sont les tendances observées en matière de salaires dans le secteur de l’industrie ? 

Notre cabinet travaille avec 450 sites de production qui représentent plus 140 000 personnes à l’échelle du territoire national. Dans ce cadre nous menons des enquêtes régulières, notamment sur le sujet de la rémunération. Nous notons que sur l’échelon des collaborateurs :  ouvriers, employés, techniciens et agents de maitrise, les disparités régionales sont très importantes. Depuis les années 2000, les départs à la retraite se sont accrus et les entreprises ont dû se confronter au marché. Le phénomène s’est accéléré depuis 5 à 6 ans : aujourd’hui l’industrie connait des tensions sur les métiers qualifiés et non qualifiés. 

 

Les difficultés de recrutement ont ainsi un impact sur la rémunération ? 

Oui, sur les rémunérations mais aussi sur les profils ciblés. Les entreprises ne recrutent plus sur des compétences, car elles savent qu’il y a pénurie. Elles recrutent désormais sur des savoir-faire et forment ensuite les candidats retenus. On parle depuis 20 ans du déficit d’image de l’industrie. Aujourd’hui nous en payons les conséquences, car ce désamour de la jeunesse pour nos métiers n’a pas rempli nos centres de formation. La rémunération est ainsi devenue un argument en faveur de l’industrie, où les salaires sont plus élevés que dans les services. En ce moment, c’est la tempête dans les entreprises : le déficit de compétences, les difficultés de production et la hausse des salaires font que les rapports sont inversés. C’est l’entreprise qui doit séduire le candidat. En 2023, les salaires ont augmenté de 4,5% dans la plasturgie, contre 4% en 2022, pour un taux d’inflation à 5.2% en moyenne annuelle pour 2022. Certaines entreprises ont même versé des primes de partage de valeur uniquement pour ne pas perdre leurs talents. Les entreprises sont toutes confrontées à l’inflation et à la revalorisation du SMIC qui a pris 10% en 16 mois. 

 

Salaires des métiers en tension  

Un monteur-régleur est payé environ 25 k€ pour 35h, un technicien de maintenance en plasturgie avec quelques années d’expérience émarge à en moyenne 28 k€, tandis que pour un chef d’équipe le salaire se monte à 30 k€.   

 

Comment procédez-vous pour établir un diagnostic rémunération dans les entreprises que vous accompagnez ? 

La première étape c’est d’établir une cartographie des emplois et la classification qui nous facilitera l’analyse de l’organisation. Lors d’un audit, nous commençons par collecter l’ensemble des informations relatives à l’entreprise, pour comprendre la cartographie des emplois en lien avec les rémunérations. Normalement, plus on monte en compétences, plus les salaires doivent être élevés. Ensuite nous étudions l’équité interne à l’entreprise, avant de poursuivre par une mise en comparaison avec d’autres entreprises. Cependant il arrive qu’il y ait des incohérences dans la politique salariale d’une entreprise. Ceci est souvent dû à des rémunérations plus attractives sur les métiers en tension comme la maintenance ou en évolution constante comme la DSI. L’écueil c’est aussi que parfois il n’y a pas vraiment d’écarts entre les salariés. Ce problème d’équité se retrouve par exemple lorsque le chef d’équipe gagne à peine plus que ses collaborateurs.  

 

Quels sont les leviers d’attractivité que les entreprises peuvent actionner ? 

Les salariés privilégient avant tout le salaire de base, si le net ou le taux horaire n’est pas celui attendu, ils peuvent se retirer du processus de recrutement. Or il existe d’autres facteurs d’attractivité comme les primes d’ancienneté, de contrainte ou de majoration horaire, de transport, la participation aux résultats, la prévoyance, etc… Les entreprises essaient d’utiliser tous les dispositifs flexibles. L’instauration du BSI, bilan social individuel, lequel récapitule les salaires et les avantages perçus par un salarié au cours de l'année écoulée permet de mettre en lumière tout cela. Les entreprises doivent faire beaucoup de pédagogie pour expliquer leur politique de rémunération. 

 

La politique de rémunération est-elle le premier motif de départ d’un salarié ? 

Les enquêtes que nous menons dans diverses entreprises nous permettent justement d’établir un diagnostic objectif. La rémunération n’est jamais le premier facteur de motivation, mais c’est le premier facteur de démotivation ! Lorsque le collaborateur est attaché à son manager, il existe d’autres leviers de compensation. 

La rémunération reste un sujet tabou. Communiquer sur le salaire lors de l’entretien, cela ne se fait pas toujours, mais les choses évoluent. Lorsque l’entreprise a une politique de rémunération incohérente, cela se sait. L’entreprise doit avoir la volonté de changer cela. 

Le risque pour les ressources humaines est de focaliser toute son énergie à limiter le turn over sur les nouveaux profils au détriment des salariés plus stables et engagés. Il existe des entreprises où le turn over est tel, qu’elles sont toujours en cours de recrutement. Cela induit des coûts cachés : le recrutement correspond à une perte équivalente à une année de salaire du salarié en partance, si l’on compte le temps de préparation et de suivi du processus de recrutement, le temps de latence entre le départ du précédent et l’arrivée du nouveau collaborateur, la surcharge de travail pour le reste de l’équipe et les coûts d’intégration du nouvel arrivant.  

S’il y a une chose à retenir, c’est que l’actif de l’entreprise, ce sont ses compétences.