L'égalité des chances ou comment faire vivre l'équité dans l'équipe ?

L’égalité des chances est un enjeu à la fois idéologique, éthique et très concret dans nos environnements sociétaux, et par déclinaison professionnels. L’article 1er de la Déclaration Universelle (1948) des droits de l’Homme est connu de tous « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits». Il est aussi souvent amputé dans nos mémoires de sa seconde partie, laquelle nous engage plus en termes de devoirs mutuels : « Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Pourquoi et comment incarner cette intention humaniste au sein de nos entreprises ? Une approche possible parmi d’autres avec Karine Jegousse, dirigeante et consultante, en Bretagne.

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Si nous commencions par nous intéresser aux mots avant d’aller plus loin ?

Du latin "aequalis", de "aequus", qui signifie uni, juste. L'égalité est l'état, la qualité de deux choses égales ou ayant une caractéristique identique (égalité d'âge, de taille...). Or, des êtres humains peuvent présenter des points communs, et développer leur propre nature, toujours unique. Pour ma part, il me semble que nous devrions privilégier le terme d’équité dans l’entreprise. En effet, du latin aequitas, -atis, l’équité signifie « esprit de justice, égalité, juste proportion », ainsi nous pouvons intégrer les éléments de contexte. La notion de juste proportion invite aussi à l’équilibre, l’harmonie en toutes circonstances, et soyons clairs, nous sommes plus efficients lorsque nous avons un bon équilibre que lorsque nous cherchons à compenser quoi que ce soit.

En bref, promouvoir l’équité au sein de nos environnements professionnels revient à accorder à chacun son rôle dans l’équipe lui permettant d’exprimer pleinement ses motivations et capacités, tenant compte de qui il ou elle est en tant que personne et en tant que professionnel ; et cela dans chaque situation qui se présente, en capitalisant sur les expériences partagées. L’entreprise est un système évolutif et vivant en perpétuelle transformation, les êtres humains le sont également, à nous d’être attentifs et créatifs pour faire en sorte que dans cet écosystème de l’entreprise chacun soit ou devienne la meilleure ressource contributive.

Le challenge est permanent, synchroniser les évolutions individuelles et celles de l’entreprise est l’affaire de tous ses acteurs : les dirigeants, les managers et l’ensemble des collaborateurs. Le dialogue et la confiance sont les fondements pour réussir.

 

Quels sont les principaux freins que vous observez à l’expression de l’équité en faveur d’une efficience collective dans l’entreprise ?

Le premier frein que je constate régulièrement consiste à traiter tous les collaborateurs de manière identique, appliquer les mêmes règles du jeu pour tous dans des contextes variés, ou tarder à remettre en question des règles qui fonctionnaient jusqu’alors mais, devenues inadaptées dans le présent. C’est par exemple le cas lors d’une période de croissance durable, la communication informelle devient insuffisante et les flux de décision sont moins opérants.

Au sein d’une organisation, plusieurs métiers sont interdépendants, se côtoient et sont soumis à des contraintes variées. Pour ne pas faire de « jaloux », je vois souvent appliquer des règles identiques de prise de congé, d’(im)possibilité de télétravail, d’(in)flexibilité d’horaires, ou de modalités de promotions internes. Bien entendu, il y a des incontournables sur lesquels un consensus est nécessaire, (cela relève plus des valeurs partagées et de leurs déclinaisons dans les environnements différents à mon sens) ; mais la « juste proportion », l’équité, ne serait-elle pas de définir des sous-ensembles créant de fait un sentiment de reconnaissance des spécificités individuelles et collectives, ou de s’interroger à intervalles réguliers sur les besoins de l’équipe pour fonctionner au mieux, et adapter le cadre en conséquence ?

A partir d’une analogie sportive, nous pourrions considérer que 2 équipes jouant à l’international respectent les mêmes règles du jeu lors du match, pour autant, chacune dispose de ses modalités spécifiques d’entraînement ou de comportement afin d’être au meilleur niveau, en intégrant l’expérience de compétition à haut niveau de certains, la découverte des autres, les motivations individuelles des joueurs et l’adhésion à un objectif commun.

Le second frein consiste à privilégier le principe d’une confiance qui s’acquiert plutôt qu’une confiance donnée à priori. En effet, comment être équitable avec les différents acteurs de l’entreprise si les mises à l’épreuve sont un préalable aux échanges sincères, ouverts et donc constructifs ? Le message envoyé manque de cohérence, « fais tes preuves et après on verra », pour peu qu’il soit combiné à une croyance liée au genre, à la génération ou tout autre élément de diversité, le temps de l’équité de traitement s’éloigne à grands pas. Tandis qu’en appliquant l’effet Pygmalion, ou (effet Rosenthal & Jacobson), nous provoquons une amélioration systématique des performances. En accordant notre confiance à priori, nous jouons le jeu de l’équité grâce aux chances données dès le début de la relation, dès le début de l’intégration dans le collectif, en accordant une place à part entière au sein de l’équipe, en créant les conditions favorables pour que chacun, à sa mesure contribue au résultat, peu importe son âge, son sexe, son expérience, son origine culturelle ou son handicap. Nos besoins de reconnaissance et d’appartenance ainsi assouvis accroissent notre capital de confiance en nous, nous osons plus, nous sommes proactifs, c’est libérateur pour l’action et vertueux. Les Canadiens octroient un permis de confiance le jour de votre arrivée, qu’en dites-vous ?

Le troisième frein vient des injonctions sociales et réglementaires auxquelles l’entreprise est vouée à se conformer, plus vécue comme un cadre subit et non comme des opportunités d’ouvertures, de créativité et de performance. Nous ne pouvons pas nier que déployer la diversité et l’inclusion dans une organisation soit complexe ; cela nécessite de la sensibilisation des acteurs, de l’adaptation des emplois, des environnements, des acquis sociaux parfois, de la prise de recul, du temps, et un budget.

Pour autant, les retours sur investissements et les bénéfices nets sont nombreux et différenciateurs, donc des atouts potentiels pour l’entreprise qui s’engage dans cette voie. En ces temps difficiles de recrutement et de fidélisation des salariés, l’élargissement du sourcing des candidats moyennant des aménagements d’emplois a véritablement de l’intérêt, la marque employeur et la réalité opérationnelle convergent en donnant de la crédibilité, la réputation de l’entreprise ne s’en porte que mieux. Lorsque la contrainte de la diversité est abordée comme une opportunité, elle est créatrice d’une valeur ajoutée puissante ! La preuve faite par la team Jolokia, une équipe plurielle et performante dans l’univers de la course au large composée de neufs hommes, neufs femmes, quatre nationalités, trois langues et une personne en situation de handicap, portée par Pierre Meisel navigant face aux marins les plus aguerris.

Autre bénéfice valorisable en résultat net, la créativité. La mixité des équipes accroît la capacité à innover ; de nombreuses études depuis une vingtaine d’années en font la démonstration scientifique ; elles sont particulièrement bien synthétisées dans un article de la revue Innovation de 2018, intitulé « La créativité sous influence du genre » par Guy Parmentier et Séverine Le Loarne-Lemaire. Le quatrième frein consiste à adopter un management ou mode relationnel « monotype ». Qu’est-ce que cela signifie ? Nous avons une fâcheuse tendance à reproduire nos pratiques, nos réactions, nos prises de précautions, nos directives, nos solutions peu importe les situations et les acteurs en présence. C’est parfois par confort/facilité, par souci d’efficacité (je reproduis ce qui a marché avant, ailleurs, le fameux et néanmoins utile check- plan- do-act), par envie d’asseoir notre légitimité, par volonté de bien faire ou simplement de faire plaisir.

Pour engendrer un terrain favorable à l’équité notre intention devrait en 1er lieu s’intéresser à celui qui est acteur concerné, en 2ème lieu au contexte de l’acteur (dans quel état émotionnel, de motivation, de maîtrise de compétences, d’autonomie est-il ?), en 3ème lieu aux moyens et au cadre lié à la situation, et enfin au résultat escompté.